Comme prévu, le Gouvernement a utilisé l’article 49-3 à titre préventif, sans qu’il y ait eu le moindre échange sur la dernière mouture du texte issue des travaux de la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale. Reste à attendre le dépôt d’une hypothétique motion de censure, non de la part des Députés de droite, mais des opposants de la gauche du Parti socialiste et des autres Partis de gauche.
Comme le succès d’une telle motion est inimaginable, aucun Député socialiste n’ayant intérêt à faire tomber le Gouvernement, la suite du calendrier est connue : nouveau passage du texte au Sénat puis retour à l’Assemblée nationale pour adoption définitive.
Cela signifie que l’on ne sait pas encore quel sera le contenu de la loi, le texte annexé au procès-verbal de la séance de cet après-midi pouvant être différent de celui arrêté par le Rapporteur du texte à l’Assemblée nationale.
C’est bien d’ailleurs ce qui s’était passé il y a deux mois, le Gouvernement ayant introduit au dernier moment diverses dispositions, parmi lesquelles la Présidence alternante des Services de Santé au travail interentreprises, proposée par Gérard Sebaoun sous la forme d’un amendement rejeté par la Commission des Affaires sociales et « récupéré » sans que l’on sache exactement dans quelles conditions.
Si l’on se fie aux explications données par Christophe Sirugue, confirmées par Michel Issindou, ce serait le fruit d’une « erreur » …
Ce qui semble signifier qu’il n’a jamais été dans les intentions du Gouvernement de revenir sur le mode actuel de Gouvernance des Services. Une chose est sûre : il aura fallu deux mois pour que nos responsables politiques évoquent un « bug » pour justifier la présence de cette disposition dans le texte issu du 49-3.
C’est beaucoup trop pour qu’on puisse vraiment y croire.
C’était assez en revanche pour « bâtir » un argumentaire ; ce n’est évidemment pas par hasard que Christophe Sirugue a estimé qu’« un équilibre a été trouvé, approuvé par les organisations syndicales et patronales. Même si l’on peut considérer que la modification proposée est pertinente, il semblerait utile de pouvoir consulter ces organisations avant de l’adopter », ses propos reprenant en écho ceux tenus en séance au Sénat par Clotilde Valter, Secrétaire d’État auprès de la Ministre du Travail, concernant l’amendement présenté par Mme Bricq et les membres du groupe socialiste et républicain, visant à rétablir la présidence alternante des Services introduite par le Gouvernement grâce au 49-3, supprimée par la Commission des Affaires sociales du Sénat : « La situation actuelle est équilibrée, et les partenaires sociaux n’ont pas été consultés ».
On peut raisonnablement penser que, sur cette question, « la messe est dite ».
Comme elle l’est probablement aussi sur la question des cotisations, qui ont déjà fait l’objet, sur notre site, de plusieurs articles dont les liens sont regroupés à la fin de cet article.
C’est donc une double satisfaction que peuvent éprouver aujourd’hui les responsables des Services de Santé au travail interentreprises ; les voilà en effet libérés d’un poids dont la justification était douteuse à leurs yeux.
Sont-ils dégagés de tout souci pour autant ? Ce n’est pas sûr car, rappelons-le, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la question des cotisations, par l’arrêt n° 365071 du 30 juin 2014, dans un sens contraire à la position adoptée par le Sénat et l’Assemblée nationale :
« Considérant ce qui suit :
- Aux termes de l’article L. 4622-6 du code du travail : » Les dépenses afférentes aux services de santé au travail sont à la charge des employeurs. / Dans le cas de services communs à plusieurs entreprises, ces frais sont répartis proportionnellement au nombre des salariés « . Ces dispositions, qui visent à garantir un mode de répartition des frais indépendant des prestations effectivement réalisées par les services de santé au travail interentreprises et dont la méconnaissance est assortie de sanctions prévues à l’article L. 4745-1 du même code, ont un caractère d’ordre public.
- Par suite, en précisant, par les dispositions impératives de la circulaire attaquée, qu’en application de l’article L. 4622-6 du code du travail, le coût de l’adhésion à un service de santé au travail interentreprises doit être calculé non selon un pourcentage de la masse salariale mais selon l’effectif de chaque entreprise adhérente et en rappelant l’obligation des services qui pratiqueraient un mode de facturation différent de se mettre en conformité avec ces dispositions, le ministre chargé du travail n’a ni excédé sa compétence ni prescrit d’adopter une interprétation de l’article L. 4622-6 qui méconnaîtrait le sens et la portée de ses dispositions. En outre, le ministre ayant donné de la loi une exacte interprétation, les requérantes ne peuvent utilement soutenir qu’il aurait porté atteinte à la liberté contractuelle qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
- Il résulte de ce qui précède que la Fédération française du bâtiment et la société Brandy Véranda ne sont pas fondées à demander l’annulation de la circulaire du ministre chargé du travail du 9 novembre 2012 en tant qu’elle prévoit que les frais afférents aux services de santé au travail interentreprises doivent être répartis en fonction du nombre de salariés.
- Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font, dès lors, obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la Fédération française du bâtiment et de la société Brandy Véranda est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération française du bâtiment, à la société Brandy Véranda et au ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social. »
Très curieusement, sauf erreur de ma part, cet Arrêt n’a été cité à aucun moment, que ce soit par Myriam El Khomri, par les Rapporteurs du projet de loi à l’Assemblée nationale et au Sénat, ou par les Députés et les Sénateurs. Il serait très étonnant qu’il ne ressurgisse pas, une disposition adoptée dans les conditions abracadabrantesques que nous avons connues (c’est-à-dire malgré l’avis défavorable de la Ministre en personne, il est utile de le rappeler) ne pouvant selon moi remettre en cause, sans qu’il en soit débattu, une Décision de la plus haute juridiction administrative de notre pays.
S’agissant de la gouvernance des Services, le terrain n’est pas totalement dégagé non plus. De vraies menaces existent en effet, qui tiennent à la volonté qu’ont certains partenaires de rattacher la Santé au travail à la Sécurité sociale, premier assureur de France, et, sans même que la plupart des responsables en aient réellement conscience, aux Compagnies d’Assurances et aux Mutuelles, qui ont fait de la Santé au travail un nouveau terrain de prospection commerciale…
Si on y ajoute le fait que les Entreprises les plus petites risquent d’être les principales victimes de la pénurie de Médecins du travail, avec son corollaire, inscrit dans la loi, en termes de réduction du suivi médical, et que certaines personnalités de premier plan plaident elles-mêmes pour une réforme de la Santé au travail fondée sur une application présentée comme conforme (mais que je juge personnellement hasardeuse, erronée, et, pour tout dire, dangereuse) de la Directive européenne du 12 juin 1989, dont l’alinéa 2 de l’article 14 prévoit que « les mesures visées au paragraphe 1 sont telles que chaque travailleur doit pouvoir faire l’objet, s’il le souhaite, d’une surveillance de santé à intervalles réguliers », omettant l’alinéa 1 du même article aux termes duquel « pour assurer la surveillance appropriée de la santé des travailleurs en fonction des risques concernant leur sécurité et leur santé de travail, des mesures sont fixées conformément aux législations et/ou pratiques nationales », il y a de très sérieuses raisons d’être inquiet.
Le simple « souhait » du salarié de bénéficier « d’une surveillance de santé à intervalles réguliers », s’il existe, ne peut servir de fondement pertinent au système de Santé au travail dans son ensemble et la Directive ne saurait être considérée, de ce fait, comme la caution juridique (l’alibi ?) de la régression de notre système à travers sa démédicalisation accélérée.
Peut-on vraiment s’étonner dans ces conditions que les Assureurs au sens large s’intéressent de très (trop) près à la Santé au travail, aux dépens, selon moi, d’une part, des Entreprises les plus petites et de leurs salariés, d’autre part, des Services de Santé au travail interentreprises eux-mêmes.
Nous aurons l’occasion de revenir bientôt sur ces questions, à la lumière (ou à l’ombre ?) du contenu de la Loi El Khomri, dès lors qu’elle aura été adoptée et… sous réserve qu’elle s’applique effectivement.
Avant une nouvelle réforme ?
Une vraie, cette fois ?
Gabriel Paillereau
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Articles relatifs aux cotisations déjà publiés sur notre site :
Cotisations de Santé au travail : le Conseil d’Etat à contre-courant ?
Arrêt du Conseil d’Etat du 30 juin 2014
Pièce du puzzle… ?
http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/3623/CION_FIN/CF18.asp
J’ignore si c’est une pièce du puzzle mais je suis sûr en revanche que tout ce qui se passe dans le secteur de l’assurance ne sera pas sans incidence sur le système de Santé au travail. Il nous faut attendre encore un peu pour y voir plus clair, la Commission des Affaires sociales du Sénat examinant aujourd’hui même le texte adopté par l’Assemblée nationale.